Habiter c’est aussi se nourrir

 

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Article 1

 

« Habiter, c’est aussi se nourrir » : Entre 2015 et 2017, un séminaire régional itinérant, initié par MALTAE (Mémoire A Lire, Territoire A l’Ecoute), a rassemblé sur ce sujet plus de 200 participants, tous acteurs de leur territoire, concernés et motivés par les questions de préservation de l’agriculture et de sécurité alimentaire. De Marseille à Grasse en passant par Hyères, les départements littoraux étaient au cœur des enjeux abordés.   

L’axe de réflexion était un volontaire décentrement du point de vue habituel montrant le foncier en concurrence entre maintien de l’agriculture et construction de logements.

Dessiner la vision d’une ville grignotant inexorablement les terres fertiles alentours est un schéma certes réel mais simpliste, qui sert plus l’analyse critique que la projection constructive. L’espace urbain continue de s’agrandir, nos régions littorales font l’objet d’un afflux permanent de nouvelles populations qu’il s’agit d’accueillir. Poser collectivement le problème autrement et lancer des pistes de solutions, en « inversant le regard », au service de la fabrique une ville nourricière : tel a été le fil rouge de ce séminaire. Retourner des contraintes en opportunités ne devrait-il pas, justement, faire chercher à inventer de nouvelles alliances entre ville et campagne ?  Et si les acteurs de l’habitat et du logement étaient les premiers à être interpellés comme co-responsables de la reconquête du potentiel agricole nécessaire à nourrir les zones urbaines ?

Agriculture urbaine, nouvelles techniques agricoles, telles la permaculture, peu consommatrices  de foncier, reconquête M2 par M2 de terres cultivables au sein des territoires des agglomérations et des métropoles littorales ( 1000 hectares pour la seule métropole de Marseille) ,  réversibilité  notamment des zones destinées à devenir des zones commerciales (déjà condamnées comme futures friches), et remises en zones agricoles,  accord avec les bailleurs sociaux pour transformer les pelouses aux pieds des immeubles en jardins partagés, vergers urbains,  nouveaux opérateurs de la société civile comme « Terre de Liens » ou les « incroyables comestibles »… Le constat a montré une transition déjà bien engagée, autant du côté des villes que des citoyens aux initiatives innombrables et dont les propositions touchent toutes les problématiques : Foncier ?  Créer un conservatoire des terres fertiles, démultiplier les foncières ; Mobilités ? à Marseille, deux projets tels la « Cerise sur le Vélo » ou « courts-circuits », un tram train pour amener au cœur de Marseille les produits pro et locaux… Culturelles et sociales ? manger moins et mieux est une petite révolution culturelle que de nombreux acteurs engagent, restaurants sociaux, partages de cuisines, mais aussi des injonctions telles que tourner le regard vers la mer !

La nécessaire prise de conscience que chaque accueil d’habitants supplémentaires dans un territoire doit impérativement appeler politiques publiques (et initiatives privées) pour redonner à l’agriculture et aux agriculteurs la surface nécessaire à les nourrir est un message de bon sens, simple à comprendre mais qui appelle un chantier législatif. Une pétition du nom de « Habiter, c’est aussi se nourrir » va être prochainement mise en ligne pour son ouverture.

Attention, il ne s’agit ni de cautionner l’étalement urbain continu depuis 1971 ni les compensations qui substituent des garrigues aux terres riches des plaines alluviales. L’enjeu est de faire adosser politiques agricoles et politiques du logement, pour que chaque projet génère son quota d’ares à remettre en culture et permettra alors de reconquérir des centaines de milliers d’emplois dans l’agriculture.

Article 2

 

Habiter, c’est aussi se nourrir

Habiter, ce n’est pas seulement se loger, c’est aussi répondre à un autre besoin : se nourrir (et bien nourrir). Pour cela, il est possible de préserver, voire reconquérir les terres les plus fertiles autour des villes et en faire le jardin nourricier de l’habitat urbain de demain. Quand l’habitat est à la base du bien-vivre…

Le sociologue Jean Viard le rappelle : c’est la première fois dans l’histoire de l’humanité qu’il y a deux générations de retraités-retraitables pour une d’actifs, et dans cette dernière, 20 % au moins sont sans emploi ! Cette évolution du rapport au temps libre transforme notre rapport au monde, notre rapport à la nature et appelle à réinventer des nouveaux modes d’habiter. Habiter autrement est devenu une évidence, une réalité : plus de temps libre, un rapport au déplacement qui évolue à la vitesse V.

Habiter autrement renvoie à deux types d’alternatives :

– Construire autrement : architecture naturelle, façades et toitures végétalisées sont tendance. Matériaux innovants, naturels, maisons en bois ou en paille… énergie solaire, énergie positive, le marché et les normes se sont emparés du mouvement et il convient, à ce sujet, de rester vigilant : à grande échelle, les champs de chanvre ou de capteurs solaires sont en concurrence directe avec la terre nourricière.

– Comment habiter et avec qui, dynamique prise en charge par tout le mouvement de l’habitat participatif, dont on refait l’histoire depuis la naissance au XIXe siècle, des coopératives d’habitation jusqu’au mouvement de l’habitat groupé dans les années 1970, en passant par les Castors de l’après-guerre. Plus d’un siècle d’expériences atteste que plus de lien social, plus d’économies d’échelle, une meilleure vie collective, à la croisée de la cellule du logement et de la vie de quartier, ont déjà fait leurs preuves pour répondre aux nouvelles donnes du vieillissement démographique et des aspirations vers plus de relations transgénérationnelles.

A la croisée des deux alternatives, la fonction de « se nourrir » est pour l’habitant aussi essentielle que celle de « s’abriter » ou encore de « bien dormir ». Une des clés réside dans la maîtrise du foncier, qui semble échapper à l’habitant lui-même. Pourtant, par la prise de conscience et la prise d’initiative citoyenne, l’habitant reste la locomotive des changements à opérer : donc acte !

Un jardin vivrier, confort indispensable du logement de demain

Afin d’éviter toute ambiguïté, le lecteur ne cherchera pas ici un plaidoyer pour la maison individuelle et son jardin privatif. Au contraire, il propose d’inventer de nouveaux contrats entre ville et campagne, où, à la manière des Amaps où les consommateurs font vivre un agriculteur localement, les constructions de logements serviront la cause du maintien et de la reconquête d’une agriculture paysanne. Il ne s’agira pas non plus de planifier un type de cuisine plutôt qu’un autre, ni en termes de distribution intérieure, ni en choix de mode de cuisson. La seule question valable à laquelle l’habitat, alternatif ou non, doit s’engager est d’assurer l’autonomie alimentaire de produits sains et frais dans une forme urbaine et des dispositifs architecturaux choisis.

« Un jardin pour un logement » fonctionne comme un slogan, une entrée facile, bienvenue et utile pour mettre l’agriculture au cœur de la fabrique de la métropole. L’histoire nous apprend qu’à l’origine de la création de la ville de Carthage, les jardins étaient intra-muros. L’agriculture vivrière a toujours été, dans toute l’histoire de l’urbanisme et des établissements humains, aux portes des villes.

Au XIXe siècle, il a été considéré comme un progrès social d’avoir « l’eau et le gaz à tous les étages », puis la salle de bains et les WC individuels, puis le chauffage central… Le logement bourgeois a conçu la pièce à vivre (bureau/bibliothèque/salon) pour la nourriture intellectuelle et la sociabilité : quoi de plus normal donc que de demander au logement d’assurer l’accès à une nourriture saine et sans pesticide pour le corps, rappelons-le, base de la santé. Enjeux de santé pour nos pays surdéveloppés où un milliard de personnes mangent trop et mal.

Jusqu’à l’après-guerre, notre société était, encore, plus rurale qu’urbaine. L’étalement urbain généralisé, notamment avec l’explosion du modèle de l’habitat pavillonnaire et de la maison individuelle, ne date que des années 1970/1980. En quarante ans, des communes comme Cannes ou La Seyne-sur-Mer, en région PACA, ne disposent plus que de 5 hectares de terre agricole. Voici dix ans que l’on serine le couplet « l’équivalent d’un département de surface agricole disparaît tous les 7 ans avec l’artificialisation des sols » et aujourd’hui, ce serait un tous les 8 ans ! Même à ce rythme, la terre nourricière est destinée à disparaître totalement. Sans inversion de tendance, l’échéance est proche : il y a donc urgence.

Il n’y a plus une agriculture mais des agricultures

Le jardin réintroduit le temps cyclique des saisons, il est aussi lieu de liberté subversive, de créativité poétique et politique, une invite à sortir habitants du seul statut de consommateurs. A côté du paysan-pêcheur et de l’habitant-paysagiste, s’inventent aujourd’hui dans les écoles d’architecture et sur le terrain des statuts d’archiculteurs-abriculteurs, d’habitants-jardiniers, d’agriculteurs-urbains.

L’habitant-jardinier est en demande de jardin et les initiatives comme les Incroyables comestibles montrent qu’il n’y a plus de limite à réduire la surface d’exploitation : un pot de fleur devient jardin ! Permettre à chacun de s’adonner au loisir du jardinage et en retirer les bénéfices de santé et de sociabilité, en termes de bien-vivre est un réel confort de l’habitat. La recrudescence actuelle des jardins familiaux et des jardins partagés l’atteste. Mais au-delà de cette seule dynamique de faire fleurir des jardins en ville, un vrai défi de changement consiste à adosser les politiques de l’habitat et de l’agriculture. Si les citoyens s’en emparent, la question sociale du logement peut devenir un levier pour la reconquête des terres nourricières. L’agriculture bio de proximité évidemment est doublement concernée : elle est au cœur des stratégies du circuit court et des aspirations sanitaires et sociales des urbains d’aujourd’hui.

Le futur habitant, en effet, peut se sentir interpellé dans ses propres choix de logement et de quartier, si tant est qu’il y ait vraiment des choix possibles, ce qui n’est pas le cas pour la majorité, mais aussi et d’abord dans ses choix de consommation, comme citoyen, acteur du changement. Le législateur et, en amont, les responsables politiques doivent adosser les politiques d’habitat et les politiques agricoles : remettre l’agriculture au cœur de la fabrique de la ville, en rendant indissociables les programmes, outils juridiques et financiers du secteur de l’habitat et ceux de la préservation des terres agricoles.

Des agricultures mais aussi des agriculteurs

En moins d’un demi-siècle, notre pays a perdu un demi-million d’agriculteurs mais il n’y a là ni fatalité ni tendance inéluctable. Sur la moitié de la planète, la société reste paysanne et l’agriculture paysanne nourrit les habitants. Certes, le modèle agroalimentaire industriel prévaut actuellement en Europe et a conduit à la disparition presque totale de notre paysannerie, moins de 3 %. Mais si chaque fois que le bâti augmente, la surface dédiée à l’agriculture nourricière augmentait aussi, alors la tendance pourrait s’inverser.

En PACA, à Aubagne, voilà vingt ans que l’intercommunalité, dans le cadre de sa charte agricole, aide et soutient l’installation d’agriculteurs en ville. En 2012, dans les Alpes-Maritimes, la commune de Mouans-Sartoux a installé un agriculteur, au statut d’agriculteur municipal dont l’exploitation en bio est dédiée à nourrir les cantines scolaires, visant, dans un deuxième temps, la restauration collective. A Mouans-Sartoux, mais aussi à Ramatuelle, on déclasse des terres des zones à urbaniser pour les remettre en zones agricoles. L’inversion de tendance est donc en route, il reste à changer d’échelle !

En jeu, des millions d’emplois

Si chacune des 36 000 communes de France jouait le jeu de soutenir la réinstallation d’un agriculteur chaque année, un rapide calcul montre que le pays pourrait, en quinze ans, retrouver une population d’un demi-million d’agriculteurs. De manière plus réaliste, en s’appuyant sur les territoires et les agglomérations, c’est certainement un potentiel de milliers d’emplois (et de surcroît durables) qui s’ouvrirait chaque année, en lien avec la reconquête d’emplois d’agriculteurs et la construction de logements. Quinze ans seulement que les Amaps sont nées et le modèle si évident d’un agriculteur qui vit de sa vente directe en alliance avec son réseau de consommateurs a fait des petits, par dizaine de milliers. Pourquoi ne pas aller encore plus loin et renvoyer aux documents d’urbanisme et à la loi foncière la responsabilité d’organiser à vaste échelle cette alliance et le nécessaire équilibre ?

Montrer que c’est possible

Le principe est tellement évident que la société en a fait un nouvel argument et un concept marketing : aux Etats-Unis, des agriquartiers créent des lotissements immenses autour de nouvelles fermes et les Américains paient des centaines de milliers d’euros pour avoir leur petite maison individuelle avec vue sur les poireaux et carottes.

Là où les fonds de pension investissaient autrefois dans l’immobilier touristique et les maisons de retraite, c’est aujourd’hui la terre qui est le nec plus ultra des investissements rentables : les pays tels que la Corée du Sud investissent par millions d’hectares en Afrique ; les groupes tels que Bolloré qui achetaient autrefois du foncier pour des projets immobiliers ont bien compris la valeur de l’investissement dans l’agriculture.

Reconquérir des terres pour l’agriculture

Depuis près de deux siècles que le système mutualiste est né, depuis trente ans que Habitat et Humanisme fonctionne pour lever de l’épargne solidaire dédiée aux logements des plus précaires, depuis dix ans que Terre de Liens a repris le modèle pour sortir le foncier du marché spéculatif et installer plus d’une centaine de fermiers, il n’y a pas à inventer la poudre pour que les actes de composition urbaine dessinent avec les logements nécessaires des fermes pour ceux qui en nourriront les futurs habitants.

Faire du changement climatique et des inondations une chance

Le changement climatique et le renouvellement des visions qu’il impose devraient aider à accélérer la transition ; les jardins urbains agissent comme des climatiseurs naturels et permettent de descendre de quelques degrés les îlots de chaleur. Ils sont des facteurs de biodiversité et deviennent les supports des fameuses trames vertes et bleues imposées par les documents d’urbanisme.

Par ailleurs, les recrudescences des inondations obligent à reconsidérer les zones inondables. Elles deviennent, de fait, une chance pour les villes, dessinant des limites naturelles à l’urbanisation, terres de surcroît riches des limons des rivières et idéales à préserver ou à reconquérir pour une agriculture. Les installations nécessaires à leur mise en culture sont compatibles avec l’inondation cyclique. Rappelons seulement que l’invention de ladite « catastrophe naturelle » ne remonte qu’à 1987 et qu’un siècle plus tôt l’inondation était qualifiée de bienfaisante… les anciens cadastres attribuaient plus grande valeur aux terres dites « arrosées ».

Oser la prospective, le temps long et la mer pour horizon

A titre de provocation, mais à peine car comment parler de durable si on ne se responsabilise pas à se projeter dans le long terme, à l’échelle du siècle ou même de trois siècles, soyons conscients que c’est sur la mer qu’habitera la moitié de la planète et c’est elle aussi qui la nourrira. Déjà, l’information qu’un habitant sur deux habitera le littoral en 2050 paraît dépassée ; soyons imaginatifs, autant que la nature l’a toujours été pour s’adapter…

Odile Jacquemin.

Architecte-urbaniste et historienne, elle exerce depuis 20 ans dans un cadre associatif, Maltae « Mémoire à lire, territoire à l’écoute » une veille du paysage, dont un des chantiers prioritaires est la préservation des terres agricoles. Auteure de plusieurs ouvrages, elle a proposé en 2014 un manifeste « Un jardin pour un logement » dans L’Abécédaire du logement (éd. de l’Aube, 2014) ; elle a organisé, en juillet 2015 aux Rencontres nationales de l’habitat participatif, un atelier dont le thème était « L’habitat participatif, un allié de la préservation des terres agricoles »

 

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