Dialogue entre les coopératives de l’Est et de l’Ouest de l’Europe

Mais alors dis-moi Jamy, c’est quoi un voyage apprenant ? Eh bien Fred c’est bien simple, tu connais la SCOP Ardelaine ? C’est une coopérative ardéchoise qui a relevé le défi d’organiser des voyages autogérés depuis la Drôme-Ardèche via l’Italie en 2018, la Catalogne en 2019 et l’Allemagne pour cette rentrée !    
L’idée est à la fois simple avec l’ambition, à terme, de faire reconnaître Coop’route par le Conseil de l’Europe comme itinéraire culturel européen. En effet, il s’agit de de relier entre elles des coopératives européennes et des lieux symboliques de l’histoire de la culture coopérative par le biais d’échanges, de rencontres et de partage de savoirs. Après avoir participé à l’aventure en Espagne, MALTAE continue ses pérégrinations avencurieuses sur les routes de la région de l’Hesse!           

T’as compris Fred ? Au cas où, voici le résumé de notre voyage qui devrait t’aider à en comprendre l’essence en quelques lignes ;

Que manque-t-il à l’Europe pour faire rêver ?

Avant, on parlait de réconciliation franco-allemande, ensuite de réconciliation Est Ouest. Depuis, plus rien! Chacun des participants de ce voyage est formel : la crise climatique et sociale que nous traversons  conduit à reconstruire l’Europe par le bas, ensemble, au niveau des régions et proposer une route, un récit, une vision commune.

Le voyage démarre à l’extérieur de Francfort; nous sommes accueillis dans les locaux de Die Kooperative, une coopérative d’agriculteurs réunis pour rendre possible une agriculture durable, régionale et équitable. En évitant les averses, nous partons découvrir les champs et serres de la coopérative, où une partie des légumes proposés dans les paniers hebdomadaires sont cultivés. Questions et réflexions accompagnent cette visite, et nous terminons la journée autour d’un repas préparé par nos hôtes, à partir, bien sûr, des récoltes de la coopérative. 

Le lendemain nous partons pour Giessen visiter deux coopératives d’habitation, Prowost et Domino.

Nous retrouvons Dieter Kropp dans les jardins du quartier coopératif qui nous partage son histoire et le fonctionnement du lieu : 12 bâtiments, tous autogestionnaires sauf les deux coopératives d’habitation qui font l’objet de notre visite. Ici, les générations se confondent et se sont d’ailleurs les enfants qui ont fait le lien entre les deux immeubles. Lors du cheminement dans les parcelles, Dieter nous confit également que certains jardins sont attribués aux habitants et que d’autres sont collectifs et que ceux qui jardinent ensemble ont pu tisser des liens plus forts au sein du quartier.

Les premières informations données concernent le projet Prowost et on sent bien qu’ici, le groupe s’est formé par convictions politiques.  La coopérative souhaite se retirer du marché pour éviter la spéculation; le statut privilégié sera donc celui d’une SARL, propriétaire du bâtiment, les habitants eux se regroupent en syndicats.

La 2ème visite s’articule autour de Domino: changement d’ambiance : ici, c’est le développement personnel qui est ciblé car pour ce « village avec une nouvelle orientation », vivre ensemble passe par la reconnaissance de soi au quotidien. C’est donc la valeur de l’amour (amicale et amoureuse) qui semble structurer la vie des résidents.

En Allemagne, la culture de la propriété est bien moindre qu’en France puisque 70% de la population est locataire. En débat, se pose la question : Comment transmettre aux générations futures ? Nous apportons l’exemple d’Ecoravie et son fond de solidarité jeunesse. De leur côté, ils donnent à voir comment deux coopératives situées au même endroit peuvent être gérées de manière autonome et différemment, avec comme clef le syndicat d’habitants « pour empêcher de déterrer la carotte ».

Nous repartons dans l’après-midi direction Imshausen, quartier de la ville de Bebra, siège historique de la famille Von Trott zu Solz.  Nous sommes accueillis par Clarita Müller, qui nous présente ce lieu marqué par le coopératif et l’économie sociale et solidaire puisqu’il est directement lié à la pensée démocratique dans la résistance contre Hitler et le Troisième Reich.

La journée du vendredi est dédiée aux coopératives d’énergies; nous sommes d’abord accueillis par Stefan Gensier, responsable de La Forest coopérative, la coopérative de bois du village de Sieblos qui nous explique le fonctionnement du mouvement.

La coopérative est propriétaire depuis 2008 de 66 hectares avec l’objectif de rassembler les 12 parcelles historiques pour un meilleur plan de gestion de la forêt : Quelles ressources locales pour quel besoin énergétique d’un village de 110 habitants ?

La réponse : Le passage d’un réseau individuel au fioul à trois chaudières collectives.

Pour cela, les 12 coopérateurs amènent chacun 12 000e de capital, complété par 200000e de subvention et la même somme d’un prêt bancaire pour créer une usine à plaquettes de bois au centre de la forêt. Les 30 foyers de Sieblos sont passés du tout au fioul aux chaudières à bois grâce à la production de la coopérative. Et la marge est belle avec 30% d’efficience gagnée grâce au nouveau modèle au sein des ménages.

Après une douzaine d’années, ce sont les coopérateurs qui peuvent fixer des prix très réduits pour les foyers; les voisins isolés peuvent bénéficier de la production en cas de surplus, et le meilleur bois est vendu pour de l’ameublement par l’Etat qui reverse ensuite le bénéfice à la coopérative. L’usine est équipée de panneaux solaires et ne rejette que 5% de résidu sous forme de cendres qui servent d’engrais dans les jardins. La présence d’une source sur le terrain permet l’acheminement de la chaleur issue du bois brulé par un système de chaleur hydraulique dans les logements. En 2008, il s’agissait de la seule coopérative forestière du district; en 2021, on compte une quinzaine de coopératives.

L’impression générale ressentie sur cette coopérative est un peu celle d’une forme « d’un despotisme éclairé », puisque le monopole des ressources énergétiques de ces 12 propriétaires est reconnu d’intérêt public. Une appropriation des habitants dans le processus de production ou de gestion pourrait empêcher un abus de position et de domination de quelques-uns. 

Deuxième étape à la coopérative d’eau de Großropperhausen, historiquement, ce sont dix agriculteurs que se regroupent pour construire un puit au centre du village. Ainsi, la population se rend compte des avantages des biens communs.

De nombreux aménagements et investissements ont eu lieu de 1885 à 2018 pour obtenir la liaison logistique du village au réseau de deux châteaux d’eau. La coopérative continue d’exister par tradition et non pour les avantages qu’elle en retire. Les membres affirment que si c’était à refaire ils ne répéteraient pas cette entreprise. Certains cooproutards les ont définis comme « des puristes de l’eau » : 230 coopérateurs qui travaillent 4 à 5 heures par semaine au service de l’autogestion.

Dernière étape à la GenoScOLAR, coopérative solaire au sein d’une école. Elle a pour objectif de promouvoir et d’aider l’installation de panneaux photovoltaïques sur des bâtiments publics de sa région.

Les membres fondateurs souhaitent exploiter des usines de production d’énergie régénérative par les élèves de la région, pour la région. La coopérative à bientôt terminée de rembourser ses crédits mais est empêchée de faire de nouveaux prêts pour développer son installation. La cause une politique de soutien aux grands parcs solaires qui demandent moins de logistique pour l’installation. Le dialogue est donc devenu impossible entre les coopératives qui souhaitent la distribution décentralisée et locale de l’énergie et l’Etat qui change la législation pour empêcher les initiatives citoyennes.

Pour finir en beauté notre aventure, nous visitons la  coopérative Kommune Niederkaufungen.

Le projet a été créé en 1986, à l’époque, un appel avait été lancé dans toute l’Allemagne pendant 10 ans pour rassembler une douzaine de personnes sur la commune de Kaufungen et construire ensemble un projet d’habitation et de production. Aujourd’hui, se sont 55 adultes qui habitent la « Kommune »; presque tous en sont salariés et on compte une vingtaine d’ados et d’enfants.

Le lieu est constitué  d’une maison communautaire (lieu de restauration et de festivités des habitants), d’un lieu ouvert sur l’extérieur (salles de conférences  et  hébergement de 40 places), d’un kindengarten « jardin d’enfants »  qui remplace les écoles maternelles, de cinq espaces d’habitation, d’un lieu d’accueil et de soins pour des personnes âgées et ou porteuses d’un handicap léger et de deux  ateliers de productions  (métal et menuiserie).

Les revenus dégagés par les coopérateurs sont rassemblés sur un compte commun (même ceux des travailleurs extérieurs) et chacun bénéficie d’une couverture sociale. Les salaires sont volontairement bas pour éviter la fuite du capital vers l’extérieur. En interne, une association a été créée pour gérer les cotisations et la redistribution  (en plus du système public). Aucun membre ne paye de loyer, tous les revenus vont à la caisse commune.

Concernant le fonctionnement, il n’y a pas vraiment d’obligation. Le midi, ce sont quatre employés qui confectionnent les repas et le soir, chacun se sert dans l’économat. 60% de l’alimentation est produite par la coopérative et pour les produits manquants, on se sert directement de l’argent en caisse. Les achats de plus de 150e doivent mentionner leur prix et leur objet par une note préalable sur le tableau collectif. Neuf voitures sont partagées, chaque coopérateur possède un vélo et quelques vélos électriques sont mutualisés.

Même le courrier est livré collectivement : « le facteur avec sa grosse boîte à lettres » !

Quatre personnes sont également employées pour faire la comptabilité et gérer l’administration de la structure; la transparence est un objectif de la Kommune avec un libre accès à chaque document. Les enfants ont tous  un parrain avec lequel il passe une journée par semaine pour créer du lien en dehors du cercle familial; une fois majeur ils décident s’ils veulent devenir membre ou non de la coopérative; jusqu’à maintenant aucun n’a décidé de rester habiter le projet.

Pour clôturer ce voyage d’étude, notre hôte a organisé un colloque afin de faire émerger un réseau d’échange de savoirs et de compétences entre l’Allemagne et la France à travers trois groupes de travail. Le premier groupe a réfléchi avec l’association « Bons produits de la Hesse » à comment favoriser l’installation des paysans en bio sur le territoire et à identifier les politiques et projets de demain.

Un deuxième groupe s’est réuni autour d’un projet fédéral avec l’université de Kassel pour échanger sur les bonnes pratiques de la laine et ça tombe bien puisque la coopérative la plus informée sur le sujet en France : Ardelaine à beaucoup de choses à partager !

Enfin, un dernier groupe a échangé sur les outils et les moyens à mettre en œuvre au sein des structures d’éducation et de formation au niveau de l’ESS et de la transition énergétique et alimentaire.

Participants