A l’occasion du colloque  » LA MER COMMENCE ICI » qui a eu lieu le 5 décembre à Toulon, organisé par l’ Académie du Var, MALTAE sort ses archives.

Prolongement de l’expérimentation de Gestion Intégrée des Zones Côtières sur la Cote des Maures, en 2006-2008, qui a permis de développer en la matière une expertise, MALTAE a fait partie des acteurs audités en février 2010 lors du Grenelle de la mer, dans la commission  » Aménagement, protection et gestion des espaces littoraux » . Le Grenelle de l’ Environnement avait ouvert la voie au Grenelle de la mer…

La délicate rencontre entre la terre et la mer

GRENELLE DE LA MER

COMOP n°6 « Aménagement, protection et gestion des espaces littoraux »
Audition du mercredi 3 février 2010

Odile JACQUEMIN

Architecte-Urbaniste Docteur en histoire, exercice professionnel au sein de MALTAE, et représentante de la société civile pour les associations Collectif de Défense des Terres fertiles du VAR et Terre de Liens PACA.

Je remercie les organisateurs de ce COMOP de m’avoir invitée et de me donner l’occasion de

 « faire remonter » un vécu de terrain. Je souhaiterais être auditionnée comme témoin, pour raconter ce que je vois, ce que je vis sur le territoire du Littoral varois, comme acteur engagé au titre de trois implications, qu’il m’importe de dissocier :

Celle de ma compétence professionnelle d’architecte urbaniste, voie dans laquelle je me suis engagée il y a maintenant quarante ans, depuis les années 1974, sur les questions de paysage.  Après avoir participé à la dynamique de la mise en place des CAUE,  il y a trente ans, j’ai pris le temps d’un détour par un parcours universitaire d’histoire dans le souci de développer au service du projet urbain, le métier d’historien des territoires. Il me semble important d’être auditionné avec cette casquette, car ni les architectes et les urbanistes, ni les historiens ne paraissent, à ces titres, très représentés dans cette consultation ;  pourtant, il s’agit bien du défi d’inventer un « habiter » des littoraux, capable d’accueillir un habitant sur deux de la planète d’ici  2050.

Mon deuxième témoignage sera celui du travail mené par MALTAE[1], (Mémoire à lire, territoire à l’écoute), structure créée il y a juste quinze ans, ONG assez atypique, juridiquement au statut d’association 1901, dont l’objet est « la culture du territoire partagé(e) », qui offre une expertise d’ingénierie culturelle au service de l’animation territoriale, dans une filiation à l’éducation populaire, et pour défendre  ce premier bien public que représente l’accès au territoire (étant entendu que l’accès n’est pas seulement celui de la pénétration physique, mais l’accès  à sa connaissance, à son histoire, à la compréhension de la complexité de son aménagement, et enfin  l’accès au projet).

En quinze ans, dans un cheminement en continu et finalement assez  précurseur, nous avons enchainé un travail exploratoire alliant recherche/ exposition/animation,   

– d’abord sur l’eau, le fil de l’eau étant pris comme le meilleur vecteur pour partager un territoire,

– puis sur le paysage de l’entre terre et mer, afin de donner au littoral une épaisseur  continentale et marine, et passer  du « trait de côte » à une notion de « territoire » côtier.

S’en est suivi, à l’occasion d’un investissement militant et citoyen pour la défense d’un des sites du patrimoine industriel les plus importants du littoral varois, les Bormettes à La Londe-les-Maures, ancienne usine Schneider de 10.000 m2 sur la rade d’ Hyères, et grâce au soutien de la DATAR, la mise en place d’un PEP ( Pôle d’Economie du Patrimoine ) dédié à la thématique  du paysage de l’entre terre et mer, PEP qui a permis d’enclencher la dynamique d’un programme européen Culture 2000 consacré à la mutualisation des problématiques et des pratiques de 8 partenaires sur 6 pays européens en matière de mise en valeur de patrimoine industriel littoral.

Enfin, depuis 2005-2006, le versement de ce capital d’expérience à la dynamique  nationale des Pôles de compétitivité et de la GIZC : MALTAE, en effet, est membre du Pôle de compétitivité «  Mer et Développement durable » PACAdepuis  sa création, et a répondu, en tandem avec le SIVOM du Littoral des Maures, à l’appel à projet national de la DIACT. Elle a donc conduit une des 25 expérimentations de Gestion Intégrée des Zones Côtières ( GIZC) dans l’originalité d’une  innovation en terme de partenariat, de remise en cause du couple maitre d’ouvrage / maitre d’œuvre et  d’application du concept  de territoire à géométrie variable en maintenant tout au long de l’expérimentation, contre vents  et marées, comme une exigence, la double échelle d’un territoire  de gestion opérationnel composé des quatre communes du Sivom articulé à un territoire  de réflexion, à l’échelle du grand territoire  de projet, reprenant celui du PEP, une aire allant du golfe de St Tropez à l’aire toulonnaise, et englobant aire marine et massif des Maures.

Sur ces thèmes – le paysage de l’entre terre et mer, l’eau et les terres fertiles, le patrimoine industriel, la GIZC, la ville littorale maritime…- , je voudrais insister  sur  deux particularités du positionnement de MALTAE : celle d’être au plus près du terrain, de le mailler, comme on dit, « à la parcelle et à l’individu » ( on ne dit jamais assez combien le fait d’être au plus près du terrain permet de démultiplier les richesses territoriales à inventorier : ressources territoriales, mais aussi humaines, et y compris, de projets ), mais sans  abandonner  la situation  d’être «  en état de recherche », dans une volonté de lier  recherche et terrain, pensée, théorie et action .

Pour employer un peu ironiquement les vocabulaires techno à la mode,  MALTAE a pour « cœur de métier » de « faire du lien »  et de «  croiser les regards »; au lieu que l’objectif de sortir du sectoriel soit un objectif  à la marge, comme pour bon nombre d’acteurs,  notre principal positionnement est celui  d’être à l’ interface, entre des mondes qui ne se rencontrent que rarement,  militants  associatifs et industriels du pôle de compétitivité, chercheurs en sciences sociales et défenseurs de l’environnement , architectes et agriculteurs, etc…,

Intégrer, c’est œuvrer sans relâche au décloisonnement entre les disciplines, entre les composantes, entre les territoires discontinus, entre les visions à différentes échelles, entre les  différentes échelles de temps aussi….   

Enfin, la troisième casquette avec laquelle je souhaite ici témoigner  est celle  d’un engagement plus militant en faveur du maintien de l’agriculture, d’ailleurs en totale cohérence avec mon métier qui donne, à mon sens une efficacité de plus à l’engagement militant, (par ex, celui de pouvoir en parler ici), au titre  de la  co présidence du Collectif de Défense  des Terres fertiles, créé en 2006 dans le  Var  et de la  présidence de la toute dernière-née des associations régionales du mouvement national « Terre de liens », celle de la région Provence Alpes Côte d’Azur. (Association dont l’objet  est de maintenir l’accès à la terre par l’acquisition  collective  et solidaire  de foncier ; Cf Plaquette de présentation jointe). Il me semble en effet, que la première des priorités, parmi les composantes complexes du défi de penser et faire la ville de demain  en littoral, c’est d’abord  la défense des terres agricoles et leur maintien ou reconversion à une agriculture nourricière.

Je me  propose donc de développer ces trois engagements  et de conclure avec cinq propositions concrètes pour contribuer à la mise en œuvre opérationnelle  des engagements du Grenelle de la Mer dont ce COMOP a la charge, notamment en matière d’urbanisme, de formation/éducation 4 et d’attention au  paysage

Au titre de mes formations d’architecte-urbaniste et d’historien :

Au titre  de l’expérience  de MALTAE

Au titre de mon engagement  pour la défense des terres agricoles dans  Terre de Liens et le collectif  de défense des Terres fertiles

1/ Au titre de mes formations d’architecte- urbaniste et d’historien, c’est d’abord un plaidoyer pour réintroduire, à coté des chantiers des outils de la planification, la nécessité de plus de projet : du projet et encore du projet. Un plaidoyer pour une plus grande place à de la création architecturale et  surtout au recours à la compétence de ceux qui sont formés pour travailler  la dimension sensible du spatial. Justement en raison de  mon positionnement différent de celui des associations, généralement dites  « de défense de l’environnement», où il est d’usage (et nécessaire, sans doute) « d’être contre », il me semble important de rééquilibrer en développant une culture du projet, du « faire avec » comme dit si bien Gilles Clément.

En tant qu’historienne, je me dois de souligner cette réalité : que les littoraux ont historiquement joué un rôle de laboratoire, architectural et urbain, et que, paradoxalement, c’est un des dommages collatéraux de la loi littoral que la confiscation  de cette vocation. Il est urgent d’en finir avec le raccourci d’une vision machiavélique du « bétonnage de la côte », à partir duquel  confusion des esprits et amalgame  en tout genre ont fait de « l’acte de bâtir » le responsable  de tous les malheurs des littoraux.

Il faut convoquer les compétences des hommes de l’art, en leur donnant les conditions d’une créativité, hors l’encadrement réglementaire de l’architecture qui a participé à faire du paysage bâti azuréen, à de rares exceptions,  un étalement urbain continu de villas néo provençales, sans projet d’ensemble ni  qualité. Il faut sans doute transformer les rapports maitre d’ouvrage/maitre d’œuvre, en finir avec un urbanisme de lotissement  et inventer de nouveaux cahiers des charges pour des opérations groupées ; il faut aussi rappeler que les compétences  des architectes sont dans leur capacité à projeter, à penser et dessiner des visions de projets, dans leur capacité à être dans le chantier, à penser  le temps du déroulement et en concevoir les étapes, dans leur capacité d’ensembliers, à faire travailler  des corps de métiers différents, donc  à  articuler différents niveaux et différents champs disciplinaires.

Il est urgent d’avoir en tête les 900 000 logements des mal-logés et la déferlante du rattrapage de besoin de logements sociaux, qui est l’équivalence de la déferlante  de l’aménagement  touristique de la côte des années  1960/1970 et pour laquelle il faut prévenir l’évidence d’une construction rapide et bâclée. On se doit  de ne pas faire l’économie de l’invention de nouvelles formes urbaines. Il faut aussi prévenir le risque de cette autre déferlante qui est la « green économie », la réponse technocratique et technologique, type HQE,  des besoins d’économie d’energie, qui va – pardonnez l’expression – dégueuler sur la côte  et ses dernières terres agricoles  ses dizaines de millions de m2 de panneaux photovoltaïques vendus par des VIP,   sans faire le détour  par les réflexions de conception d’espace,  en amont, d’un  territoire économe et d’un « savoir bâtir avec le climat ».

Il faut, surtout, lever un tabou, celui de l’urbanisation de la mer, qui est de fait, déjà là, qu’on le veuille ou non. Le nier conduirait à faire les mêmes erreurs qu’avec l’agriculture, où après avoir laissé faire l’étalement urbain « sauvage », on crie à l’urgence  de stopper  cette gabegie de foncier qui consomme les terres d’un département tous les dix ans.

Mon collègue Jean Louis Pacitto aime à rappeler que « la population qui habite  sur la mer, plusieurs mois par an, entre l’aire toulonnaise et  Saint-Tropez est l’équivalent d’une métropole flottante ». Un paquebot du tourisme  maritime, une de ces milliers  de villes flottantes  de 3 à 4000 passagers ponctionne, quand il accoste, la réserve d’eau d’une ville de 10 000 habitants. Il est urgent de faire évoluer les représentations et rendre visible cette évidence aux yeux de tous. On ne peut pas en rester aux  archétypes  dépassés d’une vaste étendue marine, vide à l’infini, beau paysage destiné au ressourcement. Il est urgent de convoquer les professionnels créatifs et qui ont pour objet de travailler l’organisation spatiale et l’approche sensible du paysage aussi sur ce territoire maritime.

Il est urgent  d’introduire et travailler, à propos de l’aménagement d’un « patrimoine naturel », le concept de réversibilité, comme  la charte de Venise l’a fait en 1964 pour l’intervention sur les œuvres d’art.

 2/ Au titre  de l’expérience  de Mémoire à lire, territoire à l’écoute MALTAE :

Je me limiterai à passer rapidement  en revue six notions : celle de l’approche culturelle du territoire, celle  de l’entre terre et mer, celle de l’équilibre, celle  de la culture partagée, celle du paysage enfin, celle de l’eau.

L’approche culturelle du territoire est un projet qui se situe ailleurs que dans le champ  du culte du terroir. La démarche de PEP du paysage de l’entre terre et mer,  notamment au travers  des ateliers du paysage  de l’entre terre et mer,   y a expérimenté un va et vient, regarder la terre depuis la mer etc…, ouvrant  la voie pour  réinvestir dans les politiques d’aménagement du territoire « terriennes » des littoraux ces trois  « leçons »  de la culture des gens de mer : culture du risque, de la solidarité et de l’économie de la ressource.

En mer, il faut savoir prendre et mesurer des risques, savoir être réactif et agir vite ; on a besoin, face à l’adversité  des éléments, d’être solidaires, et une des premières conditions de la vie à bord est d’ être économe en eau, en vivre, en espace est.

La particularité  du territoire maritime, ce foncier sans sol et sans propriété  est une référence riche et utile, un milieu propice pour s’interroger sur notre capacité à imaginer  des projets sur le  littoral où s’affranchir de la question foncière,travailler « hors bulle spéculative ».

La définition même de l’équilibre est un état instable  entre  deux données ; Les enjeux d’anticipation obligent à  prendre en compte les processus dynamiques et donc avoir pour objectif le défi permanent  de la recomposition des équilibres ; il y eut, au sens braudélien celui de la ville de sa campagne  et de sa forêt, son désert ; en situation littorale, le trépied  a quatre  pieds : il faut systématiquement ajouter la mer  au triptyque ville/campagne/forêt. (cf schéma ci-joint).

A propos du partage : une des grandes découvertes  de l’expérience de ces ateliers  de terrain avec la population fut de voir combien la réappropriation culturelle  devenait une réponse possible, une régulation face à la dépossession par la privatisation des sols. Valeurs immatérielles qui appartiennent à tous, l’histoire des lieux, l’expérience sensible, l’accès de l’autre coté des grilles toujours fermées deviennent les outils d’une  résistance à la privatisation excessive du littoral, une reconquête d’un bien public, comme usage public  de l’espace.  Et l’une des leçons d’un de nos ateliers fut cette remarque d’une habitante,  qui revendiquait, dans ce processus  de réappropriation,  le droit de faire des projets pour ces sites abandonnés, tels que les friches industrielles côtoyées toute une vie comme des univers interdits. La culture partagée du territoire, c’est aussi reconquérir et peut être conquérir le droit au  partage des projets. Dans ce sens, un meilleur partage de l’initiative  est aussi un enjeu pour les politiques publiques.

Parce qu’il donne une figuration   aux concepts et permet dans la reterritorialisation de trouver des images qui parlent à tous, le paysage local traversé devient un formidable  levier d’éducation ; l’observation partagée, la veille collective se substituent, en bonifiant son rôle, à l’observatoire.

A propos du paysage, il ne s’agit pas  d’accorder un statut différent à certaines portions d’espace qui seraient « paysage », environnement vert et bleu situé  autour des bâtiments, comme un volet paysage d’un permis de construire. La bonne fortune du terme est dans sa capacité à prendre en charge toutes les complexités du territoire, englobant les hommes qui le vivent  et  toutes les  dimensions sensibles  du rapport  à l’espace que recouvre la notion de paysage habité. Le paysage  partagé devient alors  un  outil, un langage  aidant à la médiation de cette complexité. Des ateliers itinérants du paysage peuvent être des appuis pour développer des visions collectives et partagées, les figures du paysage servant à tirer un à un, de manière fragmentée, les fils de cette complexité et les potentiels  d’intégration, pour une démarche d’aménagement intégré ; En posant  le paysage dans sa capacité à relier, et à construire des visions où les états des lieux deviennent  des  états des liens, les diagnostics territoriaux menés  collectivement par l’entrée du paysage déclinent autant d’entre deux qui deviennent des richesses territoriales au sens propre  où elles offrent un potentiel de projet dans la résolution de l’opposition, en offrant une troisième voie, permettant de dépasser l’opposition. Piste ouverte pour substituer au génie du lieu, et son acceptation un peu figée, un peu bocal/ conservatoire le sens des liens et l’essence d’une dynamique  (modèle de l’entre terre et mer extrapolable à l’infini : cf document de candidature du Pôle d’économie du patrimoine  «  Paysage de l’entre terre et mer » entre Europe et Méditerrannée, entre nature et culture, entre  ville et campagne, entre eau douce et eau salée,  etc…)

Dernière notion de ce rapide passage en revue : l’eau

Depuis  quinze ans que  j’ai commencé mon détour ou mon retour  à l’université d’histoire sur le sujet de la conquête de l’eau au XIXème et XXème siècles (cf Eau et fontaines du Var /O Jacquemin/Edisud 1996) les figures de l’eau sont apparues, parmi les figures du paysage, comme stratégiques, certainement parmi les meilleurs vecteurs d’une pédagogie du territoire. L’eau, entre sécheresse et inondation, le thème de l’eau et ses figures devient un fil rouge  fertile pour faire comprendre histoires et enjeux d’un territoire, pour en permettre une appropriation par le plus grand nombre. 

Enfin, je voudrais, en l’abordant à peine,  évoquer ce changement fondamental culturel, à mon sens équivalent à la rupture qu’a pu introduire il y a cinq siècles l’invention de la perspective. Il faut accepter l’évidence qu’aujourd’hui, avec la révolution  du numérique, la place prise par le résiliaire ont radicalement changé le rapport au monde, qui ne se voit plus  d’en haut, avec un point de vue pyramidal dont on est toujours  la pointe. Les chances de succès d’une meilleure gouvernance  et  co production des projets et de l’aménagement de l’espace  sont dans notre capacité  à faire évoluer nos systèmes de représentation  et notre accueil de l’autre, notre capacité à placer le  regard de l’autre au même niveau que le sien. Encore un enjeu d’éducation au paysage.

3/ Au titre de mon engagement  pour la défense des terres agricoles dans  Terre de Liens  PACA et le collectif  de défense des Terres fertiles, je veux redire toute l’urgence qu’il y a à  protége les terres agricoles et les maintenir, voire les redonner aux agriculteurs, surtout en régions littorales, où elles sont encore plus rares, plus convoitées et plus fragilisées qu’ailleurs.

Le Collectif est né du constat que malgré la Charte  signée entre la Préfecture, le Conseil général et la chambre d’ Agriculture  du Var,  rien  ne changeait dans le rythme de la disparition  des terres ; le 12 % inventorié comme surface du département qui restait dédiée à l’agriculture en 2002  s’est transformé en 9 % ; le SCOT de Toulon prévoit l’urbanisation de 1000 hectares  de terres agricoles, sans même les localiser ou sans que les choix se fassent en tenant compte des valeurs agronomiques des terres. De plus, toutes les parcelles inférieures  à 5 hectares  n’entrent pas dans cette comptabilité des 1000 hectares, ainsi la surface peut  en être multipliée par 3, facilement.  Evidement, l’urbanisation se fait prioritairement en  plaine, là où sont encore les dernières terres résiduelles les plus fertiles de cette vaste plaine agricole littorale de la France du Sud, (celle-là même enviée et décrite par Haussmann, lorsqu’il était préfet du Var en 1848)  qui  a nourri la France du Nord pendant des générations.

Le concept de terres fertiles est né de cette volonté  d’attirer l’attention  à une  qualité de la terre, sa valeur agronomique, qui va bien au-delà  des  indicateurs traditionnellement limités aux surfaces : un hectare de  plaine maraichère ne vaut pas  un hectare de garrigue ;

La encore, question d’équilibre à maintenir entre les quatre pieds de la ville, la forêt, la plaine agricole et la mer.

Avoir un projet agricole, dans une vision terre/mer  de fertilité en termes de  politique économique et environnementale est une manière de sortir la question agricole du seul corporatisme des professions agricoles et de permettre  à tous de s’en emparer.

Pour conclure, cinq propositions opérationnelles :

Première proposition : 

Prendre rang  dans le dispositif  de l’ANR (Agence Nationale de » la Recherche) des ateliers  de réflexion prospective et organiser, en poursuite directe du Grenelle, un atelier  de prospective dédié à la ville durable maritime, adossé  au programme  de recherche  « ville durable ». 

Face aux constats

 que les métropoles seront largement littorales et maritimes,

que la disparition de l’agriculture est un processus encore plus rapide et dramatique qu’ailleurs, au moment où on parle  d’exigence de maintien des équilibres et qu’un consensus social reconnait  la « valeur ajoutée »  dans l’urbain de l’agriculture urbaine, l’obligation de souveraineté alimentaire, etc…

que la pression démographique (double phénomène du vieillissement de  la population et des flux migratoires concernant)  et le changement  climatique  sont deux nouvelles données qui impactent prioritairement les littoraux,

 que les processus s’accélèrent,

qu’on assiste, face à leur complexité, à une dépossession  des citoyens d’une capacité  d’emprise sur leur vie et cadre de vie, 

Il est urgent de dessiner  des visions à 30, 40 voire  50 ans qui permettent à chacun de se projeter.

Une triple opportunité  s’offre pour organiser un tel atelier  de réflexion prospective consacré à la métropole maritime sur le littoral méditerranéen et  en PACA. Il faut  se  saisir de  l’existence d’un pôle de compétitivité  « Mer et développement durable », du contexte  de Marseille 2013 et du besoin de se projeter à l’échelle du bassin méditerranéen.

Deuxième  proposition : 

Décliner, à l’image de celle du Grand Paris, sur des aires métropolitaines littorales  une consultation associant des  équipes d’architectes  et d’urbanistes  adossées à des équipes de chercheurs  et de citoyens, autour du thème  de la ville durable maritime et du paysage de l’entre terre et mer. A la différence de la première proposition, il s’agit d’un vaste chantier  d’émulation et  de concertation, à partager et faire approprier par la population. ( pour rappel, la consultation du Grand  Paris a donné lieu à une exposition qui a été vue par 250 000 visiteurs et  plus de 400 maires  ou représentants des communes en Ile  de France ont participé aux débats. (le thème du PEP labélisé en 2002 « paysage de l’entre terre et mer » n’a pas de copyright et peut devenir un thème fédérateur pour un projet partagé au plan national)

Troisième  proposition : 

Organiser des ateliers itinérants du paysage s’appuyant sur  les bassins versants, de la source à la mer , afin de territorialiser l’interface terre/mer en s’appuyant sur le fil de l’eau comme meilleur vecteur de pédagogie et d’efficience pour relier eau douce loin dans les terres à eau salée.

Là encore, il n’y a pas de copyright et des démarches similaires existent, les rando-scots etc..

L’objectif est de proposer le paysage comme  outil intégrateur, l’espace-temps des ateliers  sert à la fertilité des regards croisés entre disciplines ou acteurs d’origine diversifiée ; il  donne une occasion pour que s’exprime, au plus près du  territoire traversé,   et avec des  gens  qui le pratiquent,  une dynamique d’ intelligence collective, dont la restitution au site est immédiate ;  l’atelier, tout en étant lieu d’élaboration d’une nouvelle connaissance, devient déclencheur d’action locale.

De fait, les ateliers du paysage sont de formidables lieux d’éducation et leviers de créativité, outils pour un exercice de démocratie participative répondant au défi, pour les politiques publiques,  de ne pas mettre de côté le potentiel créatif humain existant, à échelle individuelle, comme une ressource territoriale, encore enrichie  par une  situation d’intelligence collective Chaque  fleuve, chaque bassin versant  peut donner prétexte à autant de démarches  qui s’enrichiront les unes les autres, par mutualisation. Tout SAGE, tout Contrat de rivière devrait  rassembler des acteurs sur de tels ateliers,  plutôt que dans des salles autour de powerpoints.

Un des acquis  des ateliers du paysage menés pendant  l’expérimentation de GIZC en littoral des Maures a été de faire s’approprier un certain vocabulaire, et derrière, les concepts et problématiques qu’il désigne : deux exemples : la notion de ruralité maritime, pour désigner l’identité du paysage rural en bord de mer et pour appréhender  la spécificité  littorale des questions agricoles. La notion  de projet communiquant, pour évoquer une alternative aux bureaux de communication, faire  et faire savoir par l’exemple, comme  manière  de  valoriser  et disséminer des bonnes pratiques, des opérations de référence, qu’elles fassent école (cf l’ouvrage  Traits de cote, arpents de mer,  carnet de bord d’une  expérimentation en littoral des Maures)

Quatrième  proposition : 

Avoir le courage politique de l’exercice de réévaluation des  projets en cours, ceux qu’on appelle les « coups partis », les projets « déjà actés », particulièrement les gros projets structurants, dont la durée de gestation et de mise en œuvre dépasse largement  dix ou vingt ans.

 L’évaluation, considérée comme un des dix outils dans lesquels se présente, à grands cris,  « le développement durable ou soutenable », devrait  s’appliquer aussi  aux projets en cours, au lieu d’être reporté à un futur indéfini, alors même qu’un certain consensus reconnait  que nous vivons une profonde  mutation culturelle et sociétale d’inversion des valeurs. 

Je pourrais citer, dans le Var,  des dizaines de projets de ce type où il y a expression d’un conflit, le tramway de Toulon ou un parking de  super marché à Hyères qui éventrent les dernières  meilleures terres de la plaine maraichère, un projet de golf, encore !, un aqueduc qui conduit  l’eau de la terre sur l’ile de Porquerolles, le Scot de Toulon, attaqué par  un collectif d’associations, une technopole de la mer qui se fait à la Seyne, comme une technopole des années  1970, une « zone » de plus, industrielle, artisanale, sans contexte…,   sans référence au patrimoine de l’histoire  industrielle  des chantiers navals  et aux  terres où sont nées les AMAP, ( Agriculture  ce mouvement  d’alimentation qui en 2001 a inventé une nouvelle alliance entre la ville et la campagne, un partage du risque,  avec le système des paniers citoyens  qui achètent  d’avance  la récolte  à l’agriculteur salarié, lui permettant  de se concentrer sur son travail), mouvement qui fait tache d’huile  jusqu’à nourrir maintenant  60 000 personnes

Autant de projets « sensibles », où  remettre les acteurs concernés autour de l’établi   permettrait de reprendre la copie, au bénéfice d’un meilleur ajustement aux données contextuelles et à la nécessaire adaptation aux nouveaux enjeux. Se constituerait  ainsi un capital d’expériences  de démarches exemplaires d’intégration, destiné à essaimer, destiné surtout à servir de levier pour les changements culturels et comportementaux attendus

.

Cinquième  proposition : 

Expérimenter, expérimenter et encore expérimenter ; provoquer des laboratoires où inventer les nouvelles alliances de la ville et de la campagne.

Sans vouloir nier ce que les outils juridiques peuvent faire en matière d’urbanisme, il faut bien convenir du peu d’efficacité (aucun SCOT encore approuvé en Bouches du Rhône, aucun volet « littoral » aux SCOTS en PACA, la DTA  des Alpes Maritimes, non appliquée, alors que se prépare les nouvelles réformes territoriales etc..) ; il conviendrait d’avancer sur tous les fronts et notamment celui  du projet et des projets innovants.

 Il serait judicieux de mettre en synergie les  potentiels  d’invention  actuellement  en  marche dans les réseaux des  agriculteurs qui inventent les nouvelles campagnes urbaines ( terres en ville, Amaps, Terre De Liens, )  et des  habitants impliqués dans des démarches d’écoquartiers, d’habitat groupé et  d’autopromotion. Puisque  1000 hectares  de terre agricole sont inscrits à urbaniser  dans le SCOT  de l’aire toulonnaise, pourquoi ne pas prendre certaines parcelles pour en faire des  laboratoires de mise en place  de  formes urbaines répondant aux nouvelles alliances  ville/campagne, avec au cahier des charges l’obligation de remettre la campagne au cœur de la ville ? (’y mettre la mer, comme troisième pied du trépied)

Et si la question ne semble pas à priori spécifique aux littoraux, il faut argumenter que  les littoraux ont  l’obligation de se conformer à la directive européenne d’intégration, mais que les littoraux ont aussi obligation  de jouer leur fonction de laboratoire, y compris pour les exigences d’aménagement intégré des territoires non littoraux.


[1] MALTAE est, avec son partenaire le GIS AMPHIBIA, dirigé par Jean Louis PACITTO membre du RFRC et du Pôle de compétitivité « Mer et DD » PACA.